Présidente
Elisa Riano
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Rencontre
Il y a une dizaine d’années, lorsque je travaillais aux Enfants du Canal, nous portions le projet RomCivic, de 2013 à 2018. Les jeunes volontaires en service civique travaillaient avec des associations déjà présentes sur place. ASKOLA – qui s’appelait encore ASET93 à l’époque – était l’un de nos partenaires principaux. Puis j’ai rejoint ACINA en 2018 : j’ai travaillé particulièrement au sein de l’antenne 93, où j’ai retrouvé ASKOLA, qui venait de changer de nom. C’est à ce moment-là que j’ai intégré le conseil d’administration, aux côtés d’Anina Ciuciu, Andrea Caizzi et Clélia Chopinaud. J’ai tout de suite été séduite par la vision et l’énergie du projet. ASKOLA. Cela faisait écho à mes propres valeurs et à mon engagement professionnel.
L'école
L’école c’est une porte d’entrée sur le monde : elle donne les clefs pour comprendre la société. C’est un bagage qui permet de se débrouiller, de ne pas subir passivement ce qui nous entoure. Bien sûr, le système actuel est loin d’être parfait : mais il offre tout de même une base de connaissances, un espace où l’on peut exercer sa pensée, développer une certaine maîtrise sur notre environnement.
La fonction profonde de l’école, à mes yeux, c'est apprendre à penser par soi-même. J’aime beaucoup cette phrase d’un jeune du projet RomCivic, qui m’avait dit, après quelques mois de mission : “ça met de la lumière dans nos cerveaux”.
Il y a aussi une forme de paradoxe : l’école, tout en étant un outil d’émancipation, participe aussi à la reproduction des inégalités. Pourtant, si l’on veut utiliser les outils de notre société pour s’émanciper, pour développer une meilleure estime de soi, pour lutter contre les oppressions, l’école reste essentielle. Elle permet, au minimum, de prendre conscience du système dans lequel on vit, de faire des choix éclairés, de décider pour soi-même.
Perspectives
Si j’avais une baguette magique, je souhaiterais tout simplement que la loi sur les inscriptions scolaires soit appliquée facilement, concrètement, partout et pour tous. Que ce ne soit plus un parcours du combattant pour les familles, mais un droit effectif, respecté, sans condition ni obstacle.
J’aimerais aussi qu’ASKOLA puisse vraiment développer un réseau solide autour de la scolarité des enfants qui sont aujourd’hui à la marge, en impliquant les institutions et les acteurs concernés. Il faut absolument renforcer le dialogue avec l’Éducation nationale, mais aussi obtenir une réelle concrétisation de ce dialogue. Ce n’est pas seulement à nous, associations, d’aller vers eux : il faudrait aussi que l’Éducation nationale développe sa propre part de médiation scolaire, qu’elle vienne vers nous, vers les familles, vers les enfants. Si l’on parvient à créer ce point de rencontre, alors tout deviendra plus simple, plus fluide. Aujourd’hui, on a souvent l’impression de devoir faire tout le chemin seuls. Avec un vrai partenariat, une vraie réciprocité, on pourrait avancer beaucoup plus vite et beaucoup plus loin.
Les médiatrices
Larisa Stoica

Portrait
Je suis Larisa Stoica, et actuellement je suis médiatrice scolaire chez ASKOLA, depuis 2016. Moi je viens de Roumanie, j’étais scolarisée en Roumanie mais trop peu. Et donc pour moi, l'école ça représente l’avenir que chaque enfant peut avoir.
Je suis venue en France en 2012, j’avais 19 ans à cette époque. J’avais un petit bébé. Enfin j’avais deux enfants mais je suis venue avec mon petit bébé et mon mari. On est venus pour travailler, et justement moi j’ai trouvé du travail en 2016 grâce à ASKOLA. Et ça m’a tout de suite parlé, intéressée aussi, de voir que je peux travailler et aider aussi des enfants très éloignés de l’école.
Le métier
J’explique à des mamans c’est quoi les démarches pour aller vers l’école, pourquoi c’est bien d’aller à l’école, et quelle opportunité on peut avoir une fois que l’on peut laisser notre enfant à l’école. En tant que maman l’opportunité de pouvoir laisser mon enfant à l’école c’est déjà une sécurité, que je puisse aller travailler ensuite. C’est ce que je leur explique, au lieu de partir travailler avec les enfants, l’hiver ou l’été, qu’il fait trop chaud ou trop froid, l’école c’est une place de sécurité et l’enfant peut apprendre, c’est bien pour son avenir.
Je crée aussi du lien entre l’école et les mamans, car ce n’est pas toujours facile pour des personnes qui ne parlent pas français, qui ne connaissent pas la vie en France. Je crée toute une confiance entre moi, la maman et l’élève, je crée le lien, et là on peut commencer les démarches administratives vers la mairie, on fait des visites de l’école, des réunions parents/enfants.
Puis je reste toujours en contact, la famille me donne des nouvelles, on est toujours l'intermédiaire entre le professeur principal ou Upe2a et la famille.
Ce que j’aime le plus c’est que c’est une victoire quand l’enfant commence son premier jour d’école. C’est ça qui me donne envie et qui me renforce dans mon travail. Et de voir aussi les parcours, voir des parcours d’enfants pour qui c’était dur de les scolariser, de faire les inscriptions, ou des familles avec qui c’est dur de construire la confiance, et de voir le jour de victoire arriver quand l’enfant va à l’école. Mais chaque famille a des parcours différents, mais tu vois à quel point les familles sont courageuses. Quand tu vois d’où la famille est partie, comment elle arrive en France et comment elle galère à scolariser tous ses enfants. Et tu vois qu’elle rencontre des difficultés que pas toutes les familles rencontrent. C’est là que c’est une victoire quand tu vois l’enfant aller vers l’école.
Il y a des accompagnements qui marquent, , par exemple le parcours d’Inès. La maman a essayé en plusieurs étapes de scolariser Inès. Elle a été refusée d’inscription scolaire par la mairie de Stains. Elle est allée au CIO (service d’inscription des collégiens), et après avoir déposé le dossier elle a attendu 6 mois que sa fille ait l’âge d’être scolarisée au collège. Et c’est là que la maman nous a contactés via une autre association qui s’appelle SFMAD. Une fois que je l’ai rencontrée on a pu finaliser l’inscription scolaire. La maman était contente, et on a eu un parcours tellement bien. L’enfant a bien été accueillie par le collège, il y avait tous les moyens mis en place. L’enfant est passée de l’UPE2A (dispositif pour élèves allophones) à la classe ordinaire en quelques mois. Et c’est une enfant avec des belles réussites. Aujourd’hui elle est en classe de 5ème. Ce sont une maman et une fille très fortes.
Mirela Gheorghe

Portrait
Je viens de Roumanie, d’une petite ville à Ploiesti.
J’ai été très peu à l’école. J’ai commencé l’école à 8 ans et demi. Mes parents n’avaient pas de logement, on déménageait beaucoup, on allait chez ma grand-mère du côté de mon père, puis chez ma grand-mère du côté de ma mère. A un moment c’est devenu trop compliqué, et je n’y suis plus allée. J’ai beaucoup regretté de ne pas avoir pu finir mes études.
J’ai voulu pour ma fille ce que je n’ai pas eu : qu’elle aille à l’école, qu’elle fasse des études.
Je suis arrivée en France le 7 février 2013 avec ma famille. On a habité 1 mois sur un bidonville à Villeneuve-Saint-Georges (94), puis il a été expulsé. On a reçu un hôtel social dans la même ville et on a pu y rester 2 semaines. Après on est restés longtemps dehors. On a rencontré Stephan et Adi qui travaillaient à Emmaüs Coup de Main et qui parlaient roumain. Ils nous ont inscrits à Paris au 115 (Samu Social). On a eu des hôtels, mais on n’était pas stables car ça changeait souvent.
J’ai rencontré des bénévoles du Secours Catholique, et avec eux j’ai inscrit ma fille à l’école. J’ai attendu 8 mois avant de réussir à l’inscrire car je n’avais pas de justificatif de domicile. La mairie nous a répondu qu’elle ne pouvait pas inscrire ma fille car on n’avait pas de logement stable. Je comprenais mais je n’arrivais pas à m’exprimer pour lui expliquer que l’école est obligatoire. A ce moment, je me suis sentie frustrée de ne pas pouvoir répondre. Jeoffrey le bénévole a répondu à la dame que l’école en France est obligatoire, et que c’est un droit, même si l’enfant habite dans la rue.
Ce que je trouve fou, c’est que comme médiatrice scolaire je rencontre encore ces discours de la part des mairies “vous n’avez pas le droit”, “vous n’avez pas de domicile fixe”, “vous occupez illégalement la place des autres”. L’école c’est important pour tout le monde, on ne peut pas vivre sans école, sans savoir comment se débrouiller dans la vie. L’école ouvre les portes pour mieux vivre, accomplir nos rêves. J’ai voulu devenir médiatrice scolaire car les difficultés que j’ai rencontrées il y a 8 ans existent encore et des enfants n’ont pas accès à l’école en France. Je ne veux plus que des familles soient confrontées à ces difficultés. Je ne veux plus qu’ils passent par ce chemin, ou du moins je veux contribuer à faciliter les choses. J’ouvre une petite porte, et c’est les parents qui font le plus gros travail pour scolariser leurs enfants. Je leur raconte mon histoire et le fait de savoir que je suis passée par là, ça les rassure et ça
crée de la confiance, des liens entre nous. Ça facilite mon travail comme médiatrice.
Suhair Khamis
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Portrait
Je viens du Soudan, un pays en guerre actuellement et depuis son indépendance. J’ai un bac+5 en pharmacie et j’ai exercé pendant plusieurs années en tant que pharmacienne responsable de projets humanitaires. Je suis partie en 2019 après après la chute du régime de dictature qui fut au pouvoir pendant 30 ans. Je suis arrivée en France avec un VISA et j’ai décidé d’y rester.
Au début je ne connaissais personne, je suis arrivée à Lyon et j’ai rencontré l’association FORUM REFUGIES et des étudiant.es qui m’ont aidée pour l’hébergement et dans mes démarches d’accès aux droits. Avec leur aide, l’OFPRA m’a rapidement accordé l’asile : je suis devenue réfugiée en France. Pourtant, malgré la confirmation de cette obtention grâce au récépissé, cela a pris presque 3 ans avant que je reçoive la carte.
Après une première expérience professionnelle en France comme Agent de Médiation, d’Informations et de Services, j’ai décidé de quitter Lyon pour rejoindre l’Île de France. Après l’envoi de plusieurs candidatures, je suis contactée par Médecins Sans Frontières qui m’avait identifié comme “talent africain” pour une mission avec l’antenne hollandaise. Malheureusement, le statut de réfugié me mettait dans une posture particulière : je n’étais plus soudanaise et je n’étais pas française, il m’était ainsi impossible d’accéder à un poste ailleurs que dans le pays qui m’accordait l’asile. On m’a conseillé de prendre contact avec l’OCP (centre opérationnel parisien de MSF) qui, après plusieurs entretiens et enquêtes techniques et sécuritaires (sur la véracité de mon dossier, mon parcours…) on m’a confiée une première mission de 6 mois, sur un poste de responsable de projet de pharmacie dans un hôpital de terrain.
Je suis donc arrivée à Paris en 2022 puis, dans le cadre de cette mission, je suis partie en Afrique, où j’ai été confrontée pour la première fois à la guerre civile. Pendant mon travail au Darfour Soudan, on voyait les traces des conséquences de la guerre, mais là… elle avait lieu.
Début 2023, j’ai suivi la formation FLAM (français langue d’accueil et de médiation) avec l’association KOLONE. Là je me suis dit “tu peux faire de l’interprétariat! Tu peux faire un métier de médiation” : j’ai une sensibilité pour l’interculturalité, je suis conciliante, je fais du lien…
J’ai rencontré l’équipe d’ASKOLA en novembre 2023, j’étais enceinte de 5 mois, l’association m’a confiée le poste de médiatrice scolaire : j’ai signé mon contrat le 1er janvier 2024. Après la naissance de ma fille, j’ai enfin eu un hébergement à Paris (je dormais à droite à gauche avant cela).
Aujourd’hui, je demande la nationalité française pour avoir un statut juridique, être libre. Je ne me sens pas attachée à ma nationalité soudanaise. En France je peux m'exprimer et vivre plus facilement selon mes valeurs, je me sens plus à l’aise dans cet espace interculturel, il y a une ouverture d’esprit qu’on ne trouve pas partout. Je suis féministe, je rêve de faire des choses en France que je ne pouvais pas faire au Soudan où le féminisme n’a pas de place.
L'école
C’est une chance qu’il faut saisir le plus tôt possible, pour avoir des choix dans un monde restreint. Aller à l’école c’est être libre, c’est avoir les clefs pour comprendre ce qu’il se passe autour de soi.
Et si tu es très bon à l’école, tu peux même surmonter ta classe sociale. C’est un peu mon parcours : la famille de mon père est arrivée à Khartoum il y a 2 générations, c’était un déplacement forcé en raison des conflits et de la famine. J’ai été à l’école et j’ai pu faire le chemin jusqu’à l’Université, jusqu’à un bac+5, ce n’est pas courant au Soudan, surtout pour une femme.
Le métier
Une médiatrice, ce n'est pas seulement de l'interprétariat : c’est un soutien pour les familles, et dans notre cas de médiatrices scolaires, on fait en sorte que les enfants réussissent à accéder et se maintenir à l’école.
On fait le plus possible pour accompagner les personnes à faire leurs démarches administratives : entrer à l’école en complétant les dossiers administratifs, accompagner les familles pour des démarches annexes nécessaires à la bonne scolarité (domiciliation) et ponctuellement dans d’autres démarches plus éloignées de la question scolaire.
Une médiatrice est quelqu'un qui fait le lien, qui rassure.
Une médiatrice c’est quelqu’un qui essaye de rendre le travail des agents en mairie plus facile.
Parfois, nous sommes mal accueillies : les mairies ne sont pas dans le dialogue mais dans l’affrontement et nous on fait en sorte que l’inscription aille jusqu’au bout.